Mots en corps : le
chemin du poète.
Cet homme marche. Le
signifiant fondamental avec lequel il fait corps, se déploie tout au long de
son existence. Il ne parle que de ça ! Le questionnement qui fait énigme pour
lui, et condense toutes les interrogations : qu’est ce que ce corps ?
l’amène à des inventions qui se déclinent et s’enchainent comme un chemin
au bout de l’horizon en amène un autre, à partir de ce signifiant « la
marche », auquel vient faire bord l’écriture, dans une tentative de mise
en mots de l’indicible.
Il se dit en impasse pour
pouvoir parler du corps. Parler
du corps c'est souvent parler à côté … dit il, indiquant une bordure à
l’énigme. Le corps n'est pas cette évidence centrale, précise t-il, n'est pas
un objet, sur lequel échoue bien souvent les langages… tenter de parler du
corps, c'est parler du corps sujet, du corps acteur.
Ce qui empêche l’homme d’en parler, c’est
l’Hilflosigkeit, le désarroi de ce corps jeté à la vie, jeté au monde comme le
dit Heidegger quand il parle de la naissance, inconsolable d’être alors tombé
dans cette solitude à laquelle il se confronte dés le départ et tout au long de
son existence.
Dans l’exercice professionnel, cet homme touche aux
corps qu’il palpe, presse, malaxe, observe, remet en marche… De retour de
vacances, il dit son plaisir à retrouver la peau des autres, peau, endroit où
l’on s’épouse, la pénombre, un toucher patient, des retrouvailles, une écoute,
un langage qui se rétablit. Ce toucher l’achemine vers le corps de l’autre,
mais aussi vers le sien propre. Il se réfère à Lévinas, à une faille dans
« l’allergie de l’autre » comme mode basique de son rapport qui est
non rapport, à l’autre.
Il a à faire avec le tissu
conjonctif qui est le lieu de l’immunologie, qui impose une contrainte, un
continum contraignant le reste du corps, qui presse les cellules, les organes.
Le milieu organique ne se développe qu’au sein de sa contrainte. Dans le
cancer, on fait le lien avec l’immunologique, beaucoup de cancers sont des
maladies auto-immunes et le conjonctif qui est le lieu de lieu de l’immunité,
cesse alors de contraindre le milieu organique, du coup les cellules
cancéreuses peuvent proliférer. L’immunologie a sans doute à voir avec une
certaine mémoire du corps, une mémoire tissulaire, qui n’est pas une mémoire
neurologique.
Marcher : une valeur sûre ! |
Ce corps marche
cahin-caha, avant tout fondamentalement Un, seul. La marche
est un « vers soi », un mouvement intérieur qui se ramène au corps,
la marche le ramène à cet état antérieur au corps né, traumatisé de ce passage.
La marche par le balancement ramène au corps d’avant, permet de renouer, est
une tentative de guérison, offre une part de consolation. C'est d'abord faire corps, et la marche s'y " attache ". Le
mouvement apparaît comme salvateur, malgré le fait de rester inconsolable.
Son héroïsme, sa tentative,
à cet homme, est d’affronter son désarroi qui est une expérience indigne de son
être. En ne fuyant pas son angoisse, on ne fuit pas son désir écrit Lacan dans
le Séminaire XX. Clotilde Leguil de préciser dans son introduction au Malaise
dans la Civilisation « Rien ne peut nous sauver de notre angoisse que
le Dieu Logos, c’est à dire notre propre croyance en la parole et sa fonction
éthique. »
Cet homme a cheminé, et
chemine, certain de sa solitude, mais avec d’autres. Dans son cours sur le
vivre ensemble, Barthes parle de la solitude, passée de l’Un à l’Autre… L’art
des Chemins, l’art en Ballade, les chemins écrits offerts à ceux qui le
souhaitent, il s’est saisi de ses questions, de sa détresse, pour en faire un
art de vivre pas seul.
Le langage est là, au
rendez-vous de nos séances hebdomadaires, tentative d’ébauche de dire
l’indicible, sur le chemin d’un travail d’écriture qui cherche ses formes,
adresse à l’autre, tentative aussi, de maintenir éloignée cette chape
d’angoisse qui n’est pas loin, qu’il nomme ennui…
Il ne parle que de la
marche. Mais en arrière plan qui est sur le devant d’une autre scène, les mots,
le langage l’habitent, il écrit, pour échapper à la déroute de la parole. Le
langage, sa lalangue gîte et veut s’offrir, transmettre. Dans cette tension, ce
corps tendu, il se tient comme en littérature une phrase se tient. Il se risque
là à un continuum qui n’est pas métaphorique mais réel. Le territoire de son
corps est parcouru de pistes le long desquelles foisonnent la pensée et la
parole et surtout, la langue du sujet, sa langue.
Le corps immobile, pour
cet homme, serait un corps sans parole, sans parole pour le dire, la parole
viendrait du corps ébranlé, émovu. Il se pose la question, est-ce là
qu’apparaît la parole de poésie… Aux impasses langagières, à l’indicible, la
poésie se présente, langage venant du corps, les mots remontent du corps,
passent vers une langue qui dirait, dans un mouvement où les dires résonnent
dans le corps et du corps à partir duquel jaillissent les dires. Est ce ainsi,
à partir de ce corps ébranlé, qu’apparaît la poésie…
Ce n’est pas une pensée circonscrite, une réflexion qui le pousse
vers ce chemin mais plutôt quelque chose de l’ordre de ruminations. Et ça l’amène à l'homme marsupial, celui
qui en marchant, dans un ébranlement du sac conjonctif, se berce lui même,
retourne au temps d'avant, s'apaise et découvre un langage " avancé "
…une éclaircie, un pas en avant ? Cette tentative de passage à un autre langage
élève ses dires à ceux du poète, laissant aux autres le garde-fou, lui,
avançant sans filet. Le discours
de Heidegger, poétique, presque philosophique, mais d’une philosophie non
académique, comporte un risque, celui de lalangue offerte à l’Autre.
A l’instar du poète qui
la précède, la psychanalyse a imaginé un autre discours, celui qui offre la
possibilité de lalangue à chacun. Accéder à cette lalangue est une renaissance,
une nouvelle naissance.
Pourquoi la marche…
parce que le corps. Et c’est dans la contiguïté de la re-naissance à partir de
l’émergence de lalangue.
Karine Mioche
avec Bernard Quinsat
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